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Mon coton

Mes mains sont marquées. Striées de micro coupures, gonflées d'ampoules et bleuies d'avoir trop travaillées. Je rêve qu'elles soient fines et douces comme celles de Rosalie. J'ai seulement vingt ans et lorsque je rentre la nuit tombée, j'ai l'air d'en avoir déjà cinquante. Toute la journée courbée à cueillir le coton en écorchant mes mains qui auraient pu êtres si belles sans ça. Ma vie se déroule dans une routine accablante. Du matin au soir je suis pliée en deux au milieu de ce champs immense. Aussi loin que se porte ma vue, je vois du coton, du coton blanc, partout autour de moi. J'ai même souvent l'impression d'en avoir au dessus de moi. Le ciel, quand il est blanc, ne fait qu'un à l'horizon avec les têtes de cotons. Je rêve souvent, tandis que mes mains suivent le rhytme sur les tiges végétales. Je cueille en rêvant. Je rêve en cueillant. Je rêve tout le temps. Je vis courbée. Courbée sur mon coton, courbée devant les maîtres, courbée devant mes parents. Et quand enfin je me redresse, j'ai mal partout. Je vois le monde d'un peu plus haut et j'aimerais prendre encore plus de hauteur. Découvrir autre chose.

C'est d'ailleurs courbée, que j'ai découvert les mains de Rosalie. Elle est jeune, peut être seize ou dix huit ans. Et ses mains sont blanches, fines, délicates et au bout de petits ongles brillants et propres. Sa peau blanche ne brille pas au soleil et ses pomettes sont roses. Les blancs ont une jolie couleur sous le soleil. Rosalie, c'est la fille du maître et elle n'ose jamais vraiment poser les yeux sur nous. Peut être que notre peau noire l'indispose. Notre peau à nous qui luit au soleil. Notre peau noire qui font de nous des sous hommes. C'est ainsi que parle mon père. Il dit que Dieu nous a créé pour être soumis à la loi des hommes blancs, qui sont purs. Et qu'en travaillant dur nous laverons l'affront fait il y a fort longtemps à notre Père. Je pense que mon père a tord, mais évidemment je ne le lui dirais jamais.

Hier on est venu nous dire que Rosalie cherchait une jeune domestique qui serait exclusivement à son service. Bien évidemment, j'ai tout de suite fait connaitre mon intérêt pour cette place de choix. Travailler dans la maison des maîtres c'est ne plus aller aux champs. Permettre à mes mains de devenir un peu plus belles. Rita, la cuisinière a appuyé ma demande et comme je suis la plus claire des jeunes filles par ici la place m'a été accordée. Voilà, je vais être au service de Rosalie. Les champs ne sont déjà plus qu'un souvenir. D'abord je dois aller voir Rita. Pour travailler dans la maison des maîtres il faut avoir les cheveux lisses. Et bien qu'ayant la peau claire j'ai les cheveux comme le coton que je cueille. Crépûs. Les maîtres n'aiment pas. Nos cheveux sont différents des leurs qui sont lisses et soyeux comme de la soie. Nous? les notres on doit les cacher sous des foulards pour ne pas les offenser. Ce soir Rita va me les lisser. Il faut de la soude et de l'eau bouillante. Ca me brulera un peu surement. Il va me falloir en passer par là pour avoir une vie moins difficile. Mes cheveux lisses m'offriront de belles mains.

"Voilà mon histoire. Notre histoire. Et j'ai décidé que par amour pour mon aïeule j'allais apprendre à aimer mes cheveux. Parce que je n'ai pas besoin d'avoir de cheveux lisses pour réussir dans le monde d'aujourd'hui. Je suis noire et libre. Et je ne laisserais pas ce dictat esclavagiste diriger ma vie. Pour elle c'était un acte de survie. Aujourd'hui je retourne à mes racines. Je coupe tout ce qui n'est pas à moi et j'apprend à aimer ces cheveux qu'on m'a appris à détester."

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